dimanche 6 mars 2011

La défaite est, en fait...



La projection en salle d’un projet perso est toujours une expérience extrêmement exaltante. Délicieuse avant et après, totalement terrifiante pendant.

Tu travailles pendant des mois (des années) sur un projet, plus ou moins long. Tu as fini la postproduction de la chose et tu dois maintenant le montrer aux gens, parce qu’après tout, un film n’existe que dans l’œil de son spectateur. Donc tu te loues une jolie salle de cinéma.

Tu invites tout un tas de personnes qui ont des raisons bien différentes d’être là : une équipe technique et artistique qui a été bénévole et qui voit donc là dedans sa seule rétribution. Et puis tu invites des collègues (concurrents) pour leur montrer ce que tu fais. Et puis enfin tu invites tes proches, tes amis et familles, pour leur montrer que tu ne passes pas tes journées à te branler la nouille. Au niveau comptable, un film n’est enregistré que lorsqu’il est terminé. Pour tes proches, c’est exactement la même chose. Avant la projection, ce n’est souvent hélas que du vent.

Les tests effectués, tu arrives le jour J quelques minutes avant le début de la projection. Tu vois les gens arriver. L’équipe technique, ce sont des gens que tu ne vois jamais dans la vie, mais avec qui tu as vécu une expérience hyper forte humainement (le tournage) et que tu revois avec un plaisir assez fort. Des amis que tu vois rarement, des collègues qui te saluent en souriant parce qu’ils savent exactement ce par quoi tu passes.

Avant de la lancer le machin dans le grain bain, tu fais un petit discours. Tu remercies les gens. Tu aimerais pouvoir les remercier chacun personnellement mais tu ne peux pas parce qu’ils sont souvent des dizaines. Tu prends donc des appellations génériques : « l’équipe », « la production », « les zigotos » etc. Jusqu’ici tout va bien.

Mais vient le moment de l’extinction des lumières. Et là, tout ce qui était assez abstrait devient terriblement concret. C’est assez terrifiant. Des mois de boulot pour développer un scénario, des semaines de travail pour préparer un tournage, des castings, des choix techniques, des jours de tournage avec des rapports humains à gérer, des journées et des nuits de postproduction, à fignoler à l’image près, au décibel près, des détails que personne ne remarquera jamais. Autant de détails qui sont totalement anecdotiques mais qui deviennent fondamentaux à cet instant de l’extinction de ces lumières.

C’est terrifiant parce que les 30 premières secondes te font dire que tu t’es planté sur toute la ligne, que les gens ne rigolent pas, et que tu vas retourner bosser chez Renault, après tout c’est beaucoup plus simple. Les 6 minutes 30 secondes suivantes te remettent dans le droit chemin et te font dire que tu as peut être touché quelque chose après tout.

Les lumières se rallument et tu accueilles les gens à la sortie. Les techniciens sont contents du boulot (ou râlent parce qu’ils sont mal crédités dans le générique de fin), les réalisateurs sont à la recherche de retours divers et variés et les comédiens veulent savoir s’ils passent bien à l’image. Toi, en tant que producteur, tu attends surtout une prise de température. Et tu respires parce que de toute façon le plus dur est passé.

La soirée qui suit, qu’elle soit une lose ou pas, peu importe. Tu es sur ton petit nuage parce que l’expérience de cinéma, tu l’as vécue. Elle n’est réelle probablement que dans ces moments là et elle justifie à elle seule les sacrifices que tu fais et les choses que tu tentes de mettre en oeuvre.

C’est probablement ces moments là qui font l’essence de ton métier, quand la jeune fille qui est assise à coté de toi rit à la blague pour laquelle tu t’es battu trois ans auparavant pendant une longue session d’écriture. Et qu’elle est en communion avec toute une salle anonyme.

3 commentaires:

Liam Engle a dit…

La blague qui a fait rire la fille c'est une métaphore ou un souvenir précis ? Et si oui, c'est quelle blague ?
(et la fille c'est qui ?)

Bob a dit…

Ouais tu t'es pas plutôt battu "contre" (et non "pour") des blagues, toi? :D

Je plaisante.

Très très bon article, beau et sincère.

Merci encore.

Arnotte a dit…

Très beau texte... Ca fait vibrer. Je suis avec toi, avec vous!